Voici un texte sur mon histoire personnelle ainsi que mes réflexion sur la thématique du handicap et de la sexualité, thème souvent tabou encore aujourd'hui. En effet, il est temps que nous embrassions une vision de l'inclusion qui ne se limite pas à l'accessibilité des bâtiments ou à l'égalité des chances professionnelles, mais qui s'étend aussi à notre droit fondamental à aimer, à être aimé, et à exprimer notre sexualité comme nous l'entendons.
Par ailleurs, il est regrettable de constater que la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) n'évoque que l'accès aux services de santé sexuelle, sans faire la moindre mention du droit fondamental des personnes en situation de handicap à mener une vie affective et sexuelle selon leurs propres termes. Il se peut que j'aie manqué cette information, mais après une lecture approfondie du texte, il semble que ce sujet important soit omis. C’est d’ailleurs la seule critique qu’on pourrait faire à la CDPH.
Pour entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de partager quelques aspects de mon identité sexuelle : je suis bisexuel et actuellement célibataire. En soi, ces informations pourraient sembler assez ordinaires. Cependant, il y a un élément supplémentaire à considérer : je vis avec une paralysie cérébrale, ce qui nécessite une assistance continue, jour et nuit. Cette condition complexifie considérablement ma vie sexuelle, et ce, de manières que vous n'auriez peut-être pas anticipées.
je suis plutôt en quête de relations sexuelles éphémères, ce que certains appelleraient des 'plans cul'.
Le monde des rencontres en ligne pourrait sembler être un terrain de jeu idéal pour explorer sa vie sexuelle, mais en réalité, c'est un domaine où mon handicap et mes besoins en matière d'assistance constante rendent les choses nettement plus complexes. Pour vous donner une idée : dès que je mentionne la présence incontournable de mon assistant dans ma vie quotidienne, beaucoup de personnes s'empressent de me dire 'non' sous prétexte, notamment, de gène vis-à-vis de mon assistant. Certains vont même jusqu'à poser des 'lapins', me laissant seul et déçu.
Mais ce n'est pas tout. Les excuses pour annuler une rencontre sont souvent peu convaincantes et manifestement de faux prétextes. Par exemple, j'ai déjà entendu : 'Il fait trop chaud aujourd'hui pour se rencontrer', alors que nous étions en pleine canicule depuis des semaines. Un autre prétendant, habitant à Yverdon, a prétendu que le trajet jusqu'à chez moi était 'trop loin', ce qui était manifestement une fausse excuse. Ou encore, l'explication classique, mais totalement incongrue, reçue quelques minutes avant un rendez-vous prévu : 'Je me suis rendu compte qu'il n'est pas bien de s'engager dans une relation sexuelle sans sentiments'.
Aussi, il y a ceux qui, sans aucune raison apparente, cessent soudainement de répondre aux messages ou vont jusqu'à me bloquer. Dans ces conditions, et malgré une vie sexuelle que je souhaite active, mes rencontres se font finalement assez rares.
Je dois admettre que malgré les obstacles auxquels je suis confronté, il y a tout de même deux personnes en situation de handicap avec qui je réussis à partager des moments intimes (et je tiens à préciser que ces rencontres n'ont pas lieu simultanément). L'un d'eux est un jeune homme résidant dans une institution d'un canton romand. Naviguer à travers les multiples obstacles logistiques pour organiser une rencontre avec lui est une tâche herculéenne. D'abord, il faut planifier longtemps à l'avance, souvent des mois, pour trouver un créneau où son éducatrice est disponible pour l'accompagner jusqu'à mon domicile.
Mais la complexité ne s'arrête pas là. Il faut également composer avec des limitations cognitives de ce jeune homme qui exacerbent les difficultés organisationnelles. Par exemple, il a du mal à communiquer à son éducatrice pour l'informer de son souhait de me voir ou de la date que nous avons fixée. Cela ajoute une autre couche de complexité à une situation déjà difficile, exacerbant la sensation que nos vies sexuelles et intimes sont emmêlées dans un labyrinthe de contraintes institutionnelles et sociales.
Mais je ne suis pas fermé à avoir d’autres amis avec qui je peux partager de tels moments régulièrement ou de temps en temps, en situation de handicap ou valides.
Quant à l'idée de me mettre en couple, je ne suis pas totalement fermé à la possibilité, mais il faudrait que cela soit en harmonie avec ma propre conception de la sexualité et des relations affectives. En d'autres termes, je suis beaucoup plus enclin à explorer des relations libres ou polyamoureuses. Pour moi, ces modèles de relations non seulement déconstruisent les normes sociales conventionnelles, mais ils offrent également une liberté et une flexibilité qui correspondent à mes besoins et désirs. Pourquoi pas pratiquer le libertinage ? Dans un monde idéal, chacun devrait avoir la liberté de définir les termes de son engagement relationnel et sexuel. En ce qui me concerne, je trouve une grande satisfaction dans la diversité et la variété des expériences sexuelles. Le sexe est très important dans ma vie et je ne suis pas prêt à compromettre ce besoin en me confinant dans une relation monogame traditionnelle. L'authenticité dans la manière dont je vis ma sexualité est essentielle pour moi et pour toute relation que je pourrais éventuellement entretenir.
Je suis actuellement engagé dans un projet audacieux et avant-gardiste en collaboration avec un collectif lausannois spécialisé dans la réalisation de films pornographiques éthiques. L'idée de ce film porno dans lequel je jouerai dedans est de briser les tabous et les préjugés liés à la sexualité et au handicap, tout en offrant une représentation plus réaliste et inclusive de la sexualité humaine. Ce n'est pas qu'un simple projet de film pour moi ; c'est un acte politique, une forme de militantisme. En utilisant le média du film porno éthique, nous visons à remettre en question les stéréotypes culturels qui marginalisent certaines expressions de la sexualité, tout en créant un espace pour que d'autres personnes en situation de handicap puissent se voir représentées dans un domaine souvent exclusif. Le projet est encore en phase de développement et il y a beaucoup de défis logistiques et créatifs à surmonter, mais l'enthousiasme et la passion qui animent cette initiative me laissent optimiste quant à son aboutissement.
Je suis particulièrement attiré par les organes génitaux poilus ; c'est une préférence esthétique et sensuelle qui m'est propre. Mon imagination érotique me porte également vers divers fantasmes, notamment le sexe dans l'eau, les expériences à plusieurs partenaires, ou encore les escapades sexuelles en pleine nature. Ces aspirations reflètent mon désir d'explorer une sexualité qui ne se conforme pas nécessairement aux normes traditionnelles. Cela soulève une question cruciale : pourquoi les personnes handicapées dépendantes ne devraient-elles pas aussi avoir la possibilité de réaliser leurs fantasmes, voire aller dans les clubs libertins et autre sauna gay ? Qu'il s'agisse d'expériences conventionnelles ou non, chacun devrait avoir le droit de vivre sa sexualité comme il l'entend, sans être contraint par des normes culturelles ou sociales rigides.
Le sujet de la sexualité et du handicap me passionne profondément et me tient à cœur, mais je trouve regrettable qu'il soit souvent réduit à la simple question de l'assistance sexuelle. Bien que l'assistance puisse être un élément important pour certaines personnes, j’y ai déjà eu recours, elle n'est pas l'alpha et l'oméga de la sexualité pour les personnes en situation de handicap. Il est impératif de reconnaître et de respecter le spectre complet des désirs et des besoins sexuels des personnes handicapées, y compris ceux qui peuvent être jugés 'non conventionnels' ou 'contraires aux bonnes mœurs' par la société. À ce titre, il faudrait mettre en place des initiatives et des ressources qui permettent une exploration plus libre et plus épanouie de la sexualité, dépassant les approches médicalisées ou paternalistes qui dominent actuellement le discours.
Je suis un adepte du naturisme, une philosophie de vie qui ne doit pas être confondue avec la sexualité. Le naturisme, pour moi, représente un état de liberté, de connexion avec la nature, et d'acceptation de soi qui transcende les contraintes habituelles de vêtements et de jugements superficiels. J'ai eu la chance, par le passé, d'avoir un assistant qui partageait cette même philosophie naturiste. Ensemble, nous avons vécu des expériences enrichissantes, allant de journées paisibles à la plage naturiste à des séjours en vacances spécifiquement orientés vers le naturisme. Nous avons également fréquenté des bains naturistes, des espaces où la nudité est valorisée comme une forme de pureté et de bien-être. Malheureusement, je n'ai plus, au sein de mon équipe actuelle d'assistants, quelqu'un qui adhère à ces mêmes principes naturistes. La perte est palpable ; elle souligne à quel point il peut être difficile de concilier des besoins spécifiques avec les disponibilités et les inclinations de ceux qui m'apportent une assistance au quotidien.
Chaque année, je participe à un camp de sport où une distinction est établie en ce qui concerne l'utilisation des douches. Les participants capables de marcher sont dirigés vers des douches collectives, tandis que ceux d'entre nous qui sont en fauteuils roulants sont relégués aux douches individuelles. Lorsque j'ai exprimé le souhait de partager les douches collectives avec mes camarades, la réaction que j'ai perçue m'a semblé teintée de stéréotypes négatifs, comme si ma demande était perverse.
Les raisons avancées pour cette séparation vont de l'accessibilité (ce que je comprends tout à fait) mais aussi à la soi-disant "intimité" nécessaire pour les personnes en fauteuil. Je ne comprends pas ce dernier argument. Pourquoi les personnes aptes à marcher seraient-elles dans des douches collectives si l'intimité était le problème ? En réalité, cette séparation renforce un certain nombre de stigmates et préjugés négatifs à notre égard. Elle véhicule l'idée implicite que nos corps, parce qu'ils sont différents, doivent être isolés, comme si nous étions des objets de honte ou de dégoût.
Cette séparation crée également une dynamique perverse qui renforce la dépendance et l'altérité. Les douches collectives jouent un rôle central dans la vie sportive ; elles sont souvent le lieu où naissent la solidarité, l'esprit d'équipe et les amitiés. En excluant les personnes en fauteuil de ces espaces, on compromet leur intégration au sein du groupe et on crée une autre barrière, subtile mais délétère, à l'inclusion sociale.
Une solution alternative que je propose serait d'expérimenter avec des douches collectives réservées aux personnes en fauteuil roulant qui nécessitent une assistance. Cette approche pourrait contribuer à briser les tabous et les stigmates, tout en offrant une occasion de camaraderie et de solidarité parmi ceux d'entre nous qui sont souvent marginalisés même dans des espaces conçus pour l'inclusion
L'année dernière, j'ai eu le privilège de voir une de mes idées prendre vie : l'association Cerebral Suisse a organisé un séjour intitulé 'Vacances Singles', dédié au thème de la sexualité et permettant à ses participants de faire diverses expérimentations en toute sécurité et dans le respect de chacun. J'ai le plaisir de dire que cette initiative était en partie inspirée de mes propres suggestions et idées. C'était une première édition, un pionnier dans son domaine, et à bien des égards, l'expérience a été enrichissante et constructive. Néanmoins, comme toute première initiative, elle avait ses limites et des domaines nécessitant des améliorations. Dans cette optique, j'espère que les discussions lors des web-cafés généreront des idées novatrices pour améliorer et enrichir une éventuelle deuxième édition.
En septembre dernier, j'ai fait l'expérience d'un moment particulièrement révélateur lors de ma visite au Checkpoint (PROFA) à Lausanne, un centre spécialisé dans les tests MST/IST. À ma grande surprise, et pour être honnête, à mon indignation, les installations étaient tout sauf adaptées pour les personnes à mobilité réduite. L'ascenseur était si exigu qu'il m'était impossible d'y faire entrer mon fauteuil roulant. L'alternative ? Être porté pour atteindre l'étage souhaité, tandis que mon fauteuil était transporté séparément. Ce processus s'est répété pour la descente. Autant dire que la situation était extrêmement inconfortable et a sérieusement remis en question le degré d'accessibilité et d'inclusion du centre.
Il me semble fondamental de rappeler que la santé sexuelle est un droit humain inaliénable, auquel tout le monde devrait avoir accès de manière autonome et digne. Le fait qu'un centre médical spécialisé dans ce domaine crucial n'offre pas un accès adapté aux personnes en situation de handicap est non seulement embarrassant, mais il est aussi inacceptable. Je trouve ahurissant qu'à une époque aussi avancée, vu qu’on est en 2023, de telles lacunes en matière d'accessibilité soient toujours d'actualité. Et cela dans un pays développé comme la Suisse et dans un domaine aussi vital pour le bien-être des individus !
Ces défauts structurels posent un problème plus large, car ils empêchent un accès égal à des services de santé essentiels, exacerbant ainsi les inégalités existantes. Par conséquent, cela soulève également des questions sur l'éthique médicale et les droits des personnes en situation de handicap. J'estime qu'il est du devoir des autorités compétentes de prendre des mesures immédiates pour remédier à cette situation. Une attention particulière doit être accordée pour que les services de santé sexuelle, dont les tests MST/IST, soient pleinement accessibles à tous, indépendamment de leur mobilité ou de toute autre condition physique. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons parler d'une société véritablement inclusive et équitable.
En conclusion, l'intersection de la sexualité et du handicap est un sujet trop souvent négligé, banalisé ou simplement ignoré par la société. Mon expérience personnelle illustre plusieurs des défis auxquels sont confrontées les personnes en situation de handicap, notamment en ce qui concerne leur vie sexuelle et affective. Qu'il s'agisse de l'usage des applications de rencontre, de la possibilité de réaliser des fantasmes ou simplement d'accéder à des services de santé sexuelle de base, les obstacles sont nombreux et complexes.
Il est impératif de déconstruire les dogmes et les tabous entourant cette thématique. Oui, les personnes en situation de handicap ont aussi des désirs, des besoins et des droits sexuels. Les aborder uniquement sous l'angle de l'assistance sexuelle est réducteur et ne rend pas justice à la complexité et à la diversité des expériences vécues. Des alternatives plus inclusives, des améliorations en termes d'accessibilité et une réelle ouverture d'esprit sont nécessaires pour créer un environnement dans lequel chacun peut vivre sa sexualité comme il l'entend.
De plus, la sexualité ne devrait pas être le seul domaine dans lequel les personnes en situation de handicap se sentent exclues ou discriminées. Qu'il s'agisse de douches collectives lors de camps sportifs ou de l'accès aux services de santé, la question de l'inclusion et de l'accessibilité doit être abordée dans une perspective beaucoup plus large.
Dans cet esprit, je vous invite à repenser vos propres attitudes et préconceptions sur ce sujet. La sexualité, dans toute sa diversité, est un aspect fondamental de l'expérience humaine et devrait être accessible à tous, sans exception. Il est temps de passer à l'action et de faire de cette idéale une réalité concrète.
Rédigé pour l'Association Cerebral Suisse, 2023